
Il faut reconnaitre qu'il est doué... pour se servir du vocabulaire même de ceux qu'il combat sans en avoir l'air. Doué pour lénifier son militantisme. Il sait adapter ses discours aux différents publics, ce n'est pas un double discours, c'est bien trop réducteur. Il est doué et a une rhétorique vraiment bien huilée, même si pour ceux qui connaissent ses thèmes et qui entendent l'autre son de cloche qu'il essaie de recouvrir, l'analyse géopolitique de Ramadan ne peut paraitre que superficielle pour ne pas dire merdique. En réalité elle ne l'est pas, il sait exactement où il va en tentant d'y amener frères et ennemis, le seul but est de conquérir l'opinion et il le fait bien. La fin justifie les moyens. La dissimulation et la ruse maitrisées à ce point en dit long sur ce réformateur d'un genre pas si nouveau. Un conservateur tortueux en somme.
http://www.temoignagechretien.fr/ARTICLES/International/Tariq-Ramadan %3B-%C2%AB %3BDieu-n%E2%80%99a-pas-vole-les-revoltes-arabes %3B%C2%BB-/Default-36-3426.xhtml?vosreactions=posTariq Ramadan : « Dieu n’a pas volé les révoltes arabes »Par Jérôme Anciberro, Loïc Barrière. 14 janvier 2012
ENTRETIEN - Intellectuel musulman charismatique, professeur d’études islamiques contemporaines à l’université d’Oxford, Tariq Ramadan revient sur la place du facteur religieux et le rôle des islamistes dans le printemps arabe.TC : Peut-on déjà avoir le recul nécessaire pour parler des révoltes populaires du printemps arabe, comme vous le faites dans votre dernier livre ?Tariq Ramadan : Il y a des facteurs profonds qui ne datent pas d’hier et que l’on peut étudier sans problème. Et il y a bien sûr des inconnues. J’ai été comme tout le monde surpris par ce qui s’est passé en Tunisie et encore plus en Égypte. D’ailleurs, on m’avait posé la question à l’époque : pensez-vous que ce qui se passe en Tunisie pourrait aussi avoir lieu en Égypte ? Et j’avais benoîtement répondu… que non. Les faits m’ont donné tort. Cela ne veut pas dire qu’il faut s’arrêter de réfléchir mais on doit rester prudent face à des événements dont les causes sont extrêmement complexes.
Pensez-vous cependant qu’on aurait pu prévoir ces événements ?Je crois que l’on s’est trop focalisé sur une lecture strictement politique, notamment en mettant en scène la lutte de la démocratie contre la dictature. On ne s’est pas rendu compte que l’indicateur le plus essentiel était économique. Rappelons-nous du cas emblématique de Mohamed Bouazizi en Tunisie. Cet homme qui s’est immolé et dont la mort a été un des déclencheurs de la révolte n’était pas un militant engagé. C’était un vendeur de fruits et légumes qui était en train de se paupériser et qui ne supportait plus cette situation.
Autre élément négligé : le travail de formation en cours depuis 2003-2004, en partie sous influence américaine, auprès des cybermilitants de nombreux pays. Un certain nombre d’activistes des dernières révoltes arabes sont passés par ces formations qui ont eu lieu notamment dans le Caucase ou en Serbie. Certains ont même été arrêtés à leur retour. En d’autres termes, il y avait des opposants qui préparaient un changement de régime et on ne les a pas vraiment pris au sérieux.
Enfin, troisième facteur négligé : le poids des pays émergents et le déplacement vers l’Est et le Sud des équilibres géopolitiques. L’Occident joue toujours un rôle majeur dans ces régions du Moyen-Orient, mais il faut désormais compter sur la Chine, l’Inde, la Turquie ou l’Afrique du Sud.
Qu’en est-il du facteur religieux ?Le religieux n’est pas le facteur déterminant du printemps arabe. Pour autant, on ne pourra pas faire l’économie d’une lecture religieuse de ces événements. Souvenons-nous du début du soulèvement tunisien. Première réaction de la presse internationale : l’inquiétude, compréhensible puisqu’on nous a vendu pendant trente ans qu’il valait mieux avoir la dictature que les islamistes.
Deuxième étape : le soulagement, quand on s’aperçoit que ce ne sont pas les islamistes qui sont en première ligne. On s’imagine alors que tout est rentré dans l’ordre. La démocratie est là, c’est fini, ces gens-là sont comme nous finalement.
Troisième étape avec les élections de l’automne : on se rend compte que les Tunisiens ou les Égyptiens votent selon des critères bien à eux et que la référence islamique a du sens pour eux. Et là, c’est le déchaînement dans la presse. On nous dit que les islamistes ont récupéré le mouvement, que Dieu a volé la révolution du peuple…
Bref : on reste dans une perception fantasmatique du monde arabo-musulman. Mais il va bien falloir accepter ce fait que les islamistes bénéficient de la légitimité populaire et que l’on ne peut tout simplement pas faire avancer les choses dans ces pays sans une référence sérieuse à l’islam. Ce qui ne veut pas dire que l’islam politique est un bloc. Bien au contraire. Certains hommes politiques arabes qui ne sont pas islamistes l’ont bien compris, comme Moncef Marzouki, le nouveau président tunisien.
Vous évoquez d’ailleurs dans votre livre une évolution de certains mouvements islamistes qui privilégieraient aujourd’hui l’idée d’État civil à celle d’État islamique.Les premiers penseurs de l’islamisme, dans les années 1920-1930, évoluaient dans un monde où l’État-nation était la norme. Du coup, leur réflexion s’est portée vers l’idée d’un État islamique. Mais ces mouvements-là ont évolué. Prenez l’exemple de la Turquie. Les élèves d’Erbakan, la figure de référence de l’islamisme turc, qui avait un projet politique et économique assez radical, disent aujourd’hui qu’ils n’ont aucun problème avec l’idée de laïcité.
Le parti de l’actuel Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, est conservateur du point de vue des mœurs, mais il accepte le cadre laïc de la politique et le cadre libéral de l’économie mondiale. Les Frères musulmans ont évolué eux aussi, sans même parler de la diversité interne de cette organisation. L’idée d’État civil s’impose peu à peu. Cela dit, rien n’est jamais gagné.
Comment analysez-vous l’émergence des salafistes, en particulier en Égypte ?Certains ont expliqué que les « islamistes », Frères musulmans et salafis réunis, faisaient 60 % aux élections en Égypte. Cette lecture n’a aucun sens. Elle mélange des choses qui n’ont rien à voir. Dans toute leur diversité interne, les Frères musulmans participent d’une vision réformiste au sens théologique du terme : si les textes auxquels ils se réfèrent sont par définition intouchables, ils acceptent et défendent l’idée d’une lecture rationnelle liée au contexte.
Les salafis, eux, sont des littéralistes. Certains ont des références égyptiennes, d’autres sont très influencés par le wahhabisme. Il y a encore quelques mois, les salafis n’exprimaient aucune intention de se mêler au jeu politique. Pour eux, faire de la politique, c’était sortir de l’islam, c’était du kufr. En huit mois, tout a changé.
C’est aussi ce qui s’est passé dans les années 1970 en Afghanistan, où les talibans ont changé radicalement de stratégie. On sait que les Américains et les Saoudiens les ont poussés à s’investir. Il y a fort à parier qu’on a aussi poussé les salafis égyptiens à entrer dans le jeu en Égypte. De cette façon, ils coincent les Frères musulmans entre eux et l’armée.
Vous insistez beaucoup sur le rôle des musulmans occidentaux dans le mouvement d’évolution de l’islam politique. Pourquoi ?Il y a encore vingt ans, les références essentielles des musulmans installés dans les pays occidentaux venaient des pays arabo-musulmans. Désormais, on voit bien que leur réflexion est nourrie par ce qu’ils vivent là où ils habitent. Leur religion est musulmane, mais leur culture est occidentale. Le rapport à la laïcité a par exemple changé. La laïcité vécue en Occident ne correspond pas forcément à l’image coloniale qu’on en a en Orient. Pour le dire simplement, la laïcité revendiquée par Saddam Hussein n’est pas celle vécue en France ou en Europe en général.
Dans le dialogue avec les pays majoritairement musulmans, l’expérience des musulmans occidentaux est fondamentale. Leur parole est très écoutée : ils montrent qu’on peut être fidèle à l’islam tout en vivant résolument dans le monde contemporain. L’expérience historique des uns et des autres doit être partagée.
Pensez-vous que le regard occidental sur les islamistes est en train d’évoluer ?Peut-être. En tout cas, le fait que certains d’entre eux aient pris le parti de l’intégration à l’ordre économique libéral semble jouer en leur faveur. Au début, les islamistes défendaient une vision économique et politique s’approchant de la théologie de la libération chrétienne, avec des aspects quasi-révolutionnaires. Aujourd’hui, on constate que certains d’entre eux s’adaptent. Le cas de la Turquie est intéressant à cet égard.
On a l’impression que plus les islamistes deviennent libéraux économiquement, moins on leur reproche de se référer à l’islam. On n’entend peu de voix s’élever vigoureusement contre le régime saoudien ou celui du Bahrein, des pays où l’on explique pourtant que la démocratie n’est pas islamique, mais où le libéralisme économique règne.
Sur quels critères faudra-t-il juger les pouvoirs liés aux islamistes ?Mais sur les mêmes critères que pour les autres pays ! Cela dit, il y a des chantiers particulièrement sensibles dans les pays arabo-musulmans. Par exemple, le rapport à l’autorité, qui est un des grands problèmes de la conscience arabe en général. Les fatwas qui sont en fait des produits d’opinions politiques sont une plaie dans certains pays musulmans. Je n’ai aucun problème avec une voix religieuse qui parle de politique, mais il faut faire attention à la confusion des ordres.
Autre chantier : l’éducation, en particulier des plus pauvres et des femmes. Ces dernières ont joué un rôle fondamental dans les révoltes populaires de l’année dernière. Il ne faudrait pas l’oublier. Souvenons-nous de l’appel de la jeune Asmaa Mahfouz : « Vous me dites que parce que je suis une femme, je ne devrais pas aller sur la place Tahrir le 25 janvier, et bien moi je vous dis que si vous vous prétendez des hommes, vous devez venir avec moi ! »
Troisième chantier : le développement de la société civile et de ses libertés. Quatrième chantier : l’économie. Il faut développer les alliances Sud-Sud. Les nouveaux acteurs sont au Sud et à l’Est : l’Amérique latine, la Turquie, la Chine, l’Inde, l’Afrique du Sud.
Pensez-vous qu’imposer la charia soit une façon efficace de faire progresser ces chantiers ?Quand on me parle de la charia, je réponds tout de suite : quelle est votre définition de la charia ? Et je vous assure que la réponse n’est pas simple à trouver… Il faut comprendre que l’idée de charia permet d’abord de réguler les émotions politiques. Bien sûr, dans certaines régions du monde, elle est confondue avec l’idée de répression, ou bien elle est pensée comme une manière de prendre ses distances avec l’impérialisme culturel et politique occidental.
C’est en partie comme cela qu’il faut comprendre la fameuse déclaration du président du CNT en Libye, Mustapha Abdeljalil, annonçant le 23 octobre dernier l’introduction de la charia et même celle de la polygamie ! Mais la charia, c’est aussi la justice sociale et l’éthique publique. Bien souvent, réclamer l’application de la charia, c’est tout simplement une manière islamique de réclamer le droit et la justice dans des contextes où les abus de pouvoir et la corruption sont endémiques.
J’ai quant à moi l’impression que ces revendications entrent en résonance avec d’autres tout aussi légitimes, comme celles des mouvements d’occupation, à Wall-Street et ailleurs.
L’islam et le réveil arabe, Presses du Châtelet, 2011, 300p., 19,95 €